Chronique

Triple Double

March On

Tomas Fujiwara (dms, vib), Mary Halvorson, Brandon Seabrook (g), Ralph Alessi (tp), Taylor Ho Bynum (cnt), Gerald Cleaver (dms)

Label / Distribution : Firehouse 12 / Orkhêstra

Dans le courant de l’année 2018, le batteur Tomas Fujiwara avait frappé très fort en présentant son sextet en miroir Triple Double, travail extrêmement précis et plein de ramifications avec une équipe d’habitués. À la rythmique sur deux trios (avec Ralph Alessi et Brandon Seabrook d’un côté, avec Mary Halvorson et Taylor Ho Bynum de l’autre), Fujiwara avait invité son homologue et héros personnel Gerald Cleaver à jouer la seconde batterie dans une succession de duos et des dynamiques de trios. Quelques années plus tard, après March, Triple Double revient avec March On, à la gémellité subtile, à l’image de ses musiciens. Dans « March On », le long morceau-titre, on comprend qu’il y a dans cette nouvelle facette une approche plus agressive et urgente. Celle du live.

La guitare de Brandon Seabrook distille son énergie rock et son amour de la distorsion, déclenche des déflagrations chez les batteurs qui rivalisent de puissance. Cela pourrait être simplement musculeux, deux power trios qui s’affrontent, mais ce n’est ni le propos, ni l’habitude de ces orfèvres. L’électricité et les frappes deviennent matière et c’est aux soufflants, mais aussi à Mary Halvorson de la façonner. La guitariste, dont le jeu de plus en plus aérien [1] permet toutes les bifurcations, offre à petits pas un changement de cadence : la puissance collective ne se délite pas, elle se libère. Taylor Ho Bynum investit un silence devenu lui-même palpable et joue avec Cleaver une partition davantage abstraite que Seabrook s’échine à éroder ; rien n’a changé dans la dynamique, mais le climat général a basculé. Il peut en un instant en revenir aux origines, on touche au coeur du propos de Triple Double : une malléabilité dictée par l’instinct des musiciens, qui explorent toutes les combinaisons possibles.

Mais March On n’est pas simplement une déclinaison live. Avec « Silhouettes », bien dessiné par Halvorson bien que le morceau ne fasse qu’une poignée de secondes, on tend vers d’autres routes, d’autres tangentes. C’est « March On » qui est le propos central, mais « Docile Fury Duets » et sa rugosité électrique qui se heurte à une trompette volubile constitue là aussi une autre voie possible. Triple Double fait partie de ces groupes expérimentés qui ne craignent pas de faire des expériences, et n’aiment rien tant que de se frotter à des personnalités fortes. March On est complémentaire de son aîné et laisse espérer que la formule sera triplée.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 avril 2023
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