Chronique

Halvorson, Fujiwara, Delbecq, Ho Bynum

Illegal Crowns

Mary Halvorson (g), Tomas Fujiwara (dm), Benoît Delbecq (p), Taylor Ho Bynum (cornet)

Label / Distribution : Rogue Art

Tenant la bride à des egos qui auraient pu hypertrophier le projet sans pour autant le rendre réellement pertinent, les quatre individualités qui composent cette formation ont non seulement l’intelligence de mettre leur savoir-faire au service du collectif, mais également la sensibilité de porter haut des compositions soigneusement choisies. La crainte de voir les six titres paraphés par chaque musicien (Benoît Delbecq et Mary Halvorson en signent deux) se diluer dans une trop grande disparité est, en effet, immédiatement dissipée par leurs nombreux points de convergence.

Au fil du disque, les pièces se structurent autour de lignes mélodiques aussi ondoyantes qu’imprévisibles. Si elles reflètent la personnalité de leur signataire (pour Delbecq la saveur d’une étrangeté chaloupée sur “Colle & Acrylique” tandis que Taylor Ho Bynum privilégie une sobriété soucieuse sur “Thoby’s Sister”), elles permettent, par une subtile succession de variations personnelles (plutôt que des solos alternés), de faire vivre le tout avec beaucoup de liberté mais de manière homogène. Plus savamment construite, la joyeuseté désaxée de Halvorson sur “Solar Mail”, soigne les enchaînements dans une belle continuité qui donne corps à l’ensemble.

Car si les Américains sont issus de l’école braxtonienne et Delbecq l’héritier d’un jazz européen, leur goût commun les porte naturellement vers un syncrétisme musical doublé d’une grande finesse d’interprétation. Discourant naturellement à partir de n’importe quelle modalité, ils dessinent les fragments d’un plus vaste tableau sans empêcher, bien au contraire, l’épanouissement de leur spécificité.

Les mécaniques percussives du pianiste, les phrasés étrangement coulés de sa main droite tissent avec les traits biaisés et surprenants de la guitariste quelques-uns des moments les plus pertinents d’Illegal Crowns. Ce jeu à fleuret moucheté se fait d’ailleurs avec beaucoup de flegme, garanti par les encadrements solides de Bynum, garant, par sa droiture et sa concision, d’un tracé qu’il souligne de phrasés indispensables. Quelques plages, particulièrement sur le tumultueux “Wry Tulips” de Tomas Fujiwara (batteur impeccable de bout en bout), réservent pourtant quelques surprises : abandonnant sa modération habituelle, tout le monde souffle, tape ou gratte avec emportement et démontre que, dès qu’il en est besoin, le curseur peut basculer vers le rouge.