Chronique

Mâäk’s Spirit

5

Laurent Blondiau (tp), Jereon Van Herzeele (ts), Jean-Yves Evrard (g), Jozef Dumoulin (elp, keyboard), Sébastien Boisseau (b), Eric Thielemans (dm), Sophie Kokaj (voc), Samanta 7 (voc)

Label / Distribution : De Werf

Attention, cet album n’est pas à mettre entre toutes les oreilles.
Du moins les non averties.
Oubliez ce que vous connaissez déjà de Mâäk’s Spirit et vivez une nouvelle aventure avec ce groupe qui traque ici l’inattendu, la faille, et joue l’improvisation collective.

Ne vous fiez pas aux premiers assauts swing qui ouvrent l’album, car bien vite, les compositions de Jean-Yves Evrard (auteur et arrangeur de la totalité des morceaux de ce cinquième album) vous tendent des chausse-trapes.

Les effets « disto » et le jeu très personnel de Jozef Dumoulin au Fender Rhodes et aux claviers nous invitent déjà à nous méfier des chemins trop tranquilles. Placés en embuscade, les coups de batteries et de percussions assenés par Eric Thielemans nous mettent en alerte. L’explosion free est proche et la déstructuration du thème éclate sous l’impulsion tellurique de Jeroen Van Herzeele au sax ravageur, de Sébastien Boisseau à la base folle, et de Laurent Blondiau à la trompette déchirante.

Mâäk’s Spirit joue avec la musique comme il joue avec nos sentiments et nos nerfs. Il nous met sous tension. Après le bouillonnement, il nous plonge dans une ambiance incertaine, un faux apaisement. Entre rêve et angoisse.
Il mélange aux sons lo-fi les voix de Sophie Kokaj et Samanta 7 qui déclament des poèmes étranges. Elles évoquent les incertitudes et les banalités quotidiennes dans un esprit qui n’est pas sans rappeler celui de la Nouvelle vague.

Aussi déconcertante, chaotique ou complexe qu’elle soit, la musique nous entraîne dans un monde onirique et bizarre. Excitant aussi. On a envie d’en savoir plus, d’aller plus loin.

Avec malice, le groupe alterne ces moments suspendus avec des plages plus groovy, souvent déchirées par des riffs de guitare et des phrases de sax presque ayleriennes (« Datta Error 3 »), ou distille des rythmes mouvants, cachés sous des airs de faux reggae (« Trois mules bleues »). Les univers se chevauchent ainsi au long d’un album plein d’histoires étranges. Avec « Interlude », on fait appel aux souvenirs hypnotiques de 2001. Puis on revient à la musique répétitive et quelque peu industrielle (« Data Error 9 »), sans oublier un long et lent morceau caché (histoire d’aller au bout de la démarche) fait de souffles, de crissements et de musiques lointaines sur lesquels une voix déroule un texte désabusé. Comme dans un film de Lynch...

Intrigant, éblouissant ou irritant, ce disque s’offre à ceux qui savent l’écouter. Soyez de ceux-là.