
Schaffhauser Jazz, vitrine helvète
Comment sonne le jazz suisse ?
© Peter Pfister
Comment sonne le jazz suisse ? C’est la question que l’on peut se poser chaque année pendant quelques jours dans la magnifique ville de Schaffhouse (Schaffhausen en allemand), située au bord du Rhin et de ses chutes, tout au nord de la Suisse, non loin de la frontière allemande. Car le festival Schaffhauser Jazz, qui a fêté sa 36e édition, est « la » vitrine du jazz suisse, puisque seuls des groupes suisses ou des artistes ayant un lien avec la Suisse s’y produisent. Et cela est loin d’être une contrainte, mais plutôt une excellente occasion de découvrir la scène d’un pays.
Et comment sonne-t-il, le jazz des Confédérés ? Assez différent, il faut le dire, si l’on observe le festival de cette année à la loupe et qu’on le connaît depuis quelques années déjà. Il est par exemple énergique et joyeux, tout à fait rafraîchissant et sympathique.
- Knobil © Peter Pfister
Comme chez Knobil, le trio de la solide contrebassiste et chanteuse lausannoise Louise Knobil. Une jeune femme à découvrir. Rien qu’à la manière dont elle fait ses annonces sur scène, dans un allemand hésitant avec un accent français, on est déjà sous le charme. Et la musique aussi. Des chansons sur les ruptures de toutes sortes dans la vie, ou l’ouverture d’un bocal de pesto pendant le confinement - aussi profonde ou absurde que soit l’inspiration, Knobil en fait un plaisir d’écoute absolu avec sa formation contrebasse & chant, batterie et clarinette basse (cette dernière jouée avec virtuosité par Chloé Marsigny), un post-bop swinguant et groovy et de magnifiques lignes de walking bass dont on ne se lasse pas. En rappel, le standard de jazz « Cheek to Cheek ». Et avec cela aussi, ce trio nous enchante.
- Christy Doran et Urs Leimgruber © Peter Pfister
Mais le jazz suisse peut aussi être synonyme de recherche sonore, comme lors de la prestation du guitariste Christy Doran et d’Urs Leimgruber au saxophone soprano, qui suit directement celle de Knobil. Quel contraste avec ce qui a été entendu auparavant !
La folie aimable et la joie de vivre du trio et maintenant, chez ces deux légendes suisses du jazz, une quête bruyante de, oui, de quoi au juste ? Certes, deux musiciens de haut niveau improvisent ensemble et il y a de petits moments de bonheur, mais la plupart des passages s’enlisent dans l’insignifiance.
- Wabjie © Peter Pfister
On ne peut pas en dire autant du trio genevois Wabjie. La chanteuse Soraya Berent, qui jouait aussi de la basse au synthétiseur, le pianiste Michel Wintsch et le batteur Samuel Jakubec ont exigé du public une écoute attentive avec des changements d’humeur soudains et des rythmes toujours variés. Ce qui a été récompensé par une musique non conventionnelle et imprévisible, qui rafraîchissait furieusement, mais qui faisait aussi plaisir à entendre avec de belles mélodies. Entre jazz, électronique, avant-garde et un soupçon de prog rock, une merveilleuse découverte.
Lyrique, mélancolique, mais aussi audacieux et expérimental avec des sons électroniques, le trio de Colin Vallon a montré à Schaffhouse pourquoi il compte depuis tant d’années déjà parmi les meilleurs trios avec piano d’Europe. En effet, les trois Suisses qui entourent le pianiste emmènent l’auditeur dans des voyages sonores aux multiples ingrédients, aux sons aériens et flottants, au piano préparé et à l’esthétique subtile.
- Colin Vallon trio © Peter Pfister
Le So Lieb Quartet, autour de la trompettiste Sonja Ott et du batteur Philipp Leibundgut, a également créé de beaux univers sonores avec un jazz mainstream gouleyant et délicieusement décontracté, qui ne réinvente certainement pas le genre, mais qui était joué avec beaucoup de finesse. Après quatre soirées passionnantes, le festival s’est terminé sur une note plus branchée avec RLM, un trio composé du batteur zurichois Jonas Ruther, de la rappeuse bernoise Miss C-Line et du pianiste romand François Lana aux synthétiseurs et aux samplers, auxquels s’est ajouté le rappeur sénégalais Gaston Bandimic. Respect pour la manière dont Miss C-Line a posé son superbe flow rap, mais aussi son chant soul, sur les rythmes impairs de la batterie. Seul le clavier aurait parfois pu être davantage mis à contribution.
Après 36 éditions, le cofondateur Urs Röllin a d’ailleurs annoncé sur scène qu’il se retirait de l’équipe d’organisation du festival. Il sera remplacé par le jeune pianiste suisse Joscha Schraff, qui a présenté cette année, lors de la première soirée, sa nouvelle formation Cork 5, déjà très intéressante, à laquelle participent Sonja Ott, Philipp Leibundgut et Louise Knobil, trois artistes brillants de cette édition du festival.