Scènes

Tampere Jazz Happening mélange les genres 🇫🇮

Tampere Jazz Happening : grands maîtres, jazz du Portugal et plus encore.


Demian Cabaud 5tet © Maarit Kytöharju

De David Murray à Bode Wilson en passant par Mats Gustafsson et Bushman’s Revenge, le festival finlandais a proposé un panorama du jazz contemporain aussi large que les lacs alentour. La balance est équilibrée entre groupes finlandais et internationaux et les musiciens portugais du collectif Porta Jazz ont pu bénéficier d’une belle tribune pour leur musique.

David Murray © Maarit Kytöharju

La composition du groupe est classique pour le jazz : saxophone, piano, contrebasse et batterie. Et le leader du groupe a un pied bien ancré dans la tradition du jazz, du blues ou du gospel. Mais d’un autre côté, le saxophoniste et clarinettiste basse américain David Murray a toujours été ouvert aux formes de jeu libres. Et c’est de cela que son quartet actuel, composé de trois jeunes talents du jazz, dont la pianiste espagnole Marta Sánchez, tire son charme. C’est la combinaison parfaite des deux mondes. On swingue élégamment ou on groove bien de temps en temps, jusqu’à ce que Murray se lance dans les registres aigus et fasse grincer et rugir son biniou, improvisant comme jamais. Sa musique prend alors des angles et des contours que son groupe ne propose pas. Et à la fin, le rappeur finlandais Paleface, qui anime par ailleurs avec humour les journées du festival sur la scène principale, nous surprend avec un passage de rap sur le dernier morceau, concerté spontanément avec Murray pendant le concert. David Murray, aujourd’hui âgé de 69 ans, se présente à Tampere, après des décennies de carrière, frais comme un gardon et toujours assez branché.

Kimmo Pohjonen & Mats Gustafsson © Maarit Kytöharju

Le duo formé par le virtuose finlandais de l’accordéon Kimmo Pohjonen et le saxophoniste baryton suédois Mats Gustafsson est lui aussi très branché. Ce n’est que la deuxième fois qu’ils jouent ensemble à Tampere. Leur prestation, essentiellement basée sur l’improvisation, met l’auditeur au défi avec des envolées sauvages et toutes les adaptations électroniques du son de l’accordéon. En tout cas, une musique qui réveille. Et l’énergie est importante pendant les quatre jours du Tampere Jazz Happening, surtout le vendredi et le samedi, où les concerts commencent parfois en début d’après-midi et se poursuivent jusqu’à une heure du matin pour le dernier.

Cette année, le Portugal était à l’honneur à Tampere avec pas moins de quatre groupes, dont Axes, le sextette éblouissant du saxophoniste João Mortágua, composé de quatre saxophonistes. Ou encore le fantastique quintette de Demian Cabaud avec son projet « Árbol adentro » inspiré du poète et écrivain mexicain Octavio Paz. Le bassiste argentin, mais vivant depuis longtemps au Portugal, et les deux saxophonistes João Pedro Brandão et José Pedro Coelho, le batteur Marcos Cavaleiro et le pianiste João Grilo, au toucher original et très intéressant, jouent une musique aux multiples facettes et nuances. Émotion, individualité et conscience collective, points de rencontre avec le folklore argentin, mais aussi et toujours la force et surtout la liberté du jazz - Cabaud et son groupe en ont fait une musique envoûtante.

Axes © Maarit Kytöharju

Duke Ellington n’aurait jamais joué exactement le même morceau. C’est ce que Pat Thomas dit du grand compositeur et pianiste américain, dont il a déjà reconstitué la musique en solo à plusieurs reprises. C’est la deuxième fois seulement que le pianiste britannique le fait à Tampere avec les deux Norvégiens Per Zanussi (contrebasse) et Ståle Liavik Solberg (batterie). « Daydream - The Music Of Duke Ellington » est le nom de leur projet commun. La manière dont le trio a réarrangé la musique d’Ellington et l’a éclairée d’un jour nouveau est passionnante. Pat Thomas, en particulier, a brisé les thèmes de manière captivante pour s’y mouvoir en improvisant avec ses propres idées.

En revanche, Donald Harrison et son quartette n’avaient en tête que le divertissement et ont d’abord servi leur nouveau swing gouleyant, un mélange de jazz swinguant, de R&B, de soul et de jazz de la Nouvelle Orléans. Le saxophoniste alto de la Crescent City avait déjà sorti l’album du même nom à la fin des années 1990. Toutefois, une leçon abrupte d’histoire du jazz a suivi, avec des références à Sidney Bechet, Charlie Parker et John Coltrane. Puis un bref voyage musical à Porto Rico et ce concert est devenu une véritable fête. Tout a été joué avec classe et parfaitement mis en place pour clore cette longue soirée de concerts.

Orchestra Nazionale Della Luna © Maarit Kytöharju

Vingt-cinq concerts ont été donnés pendant les quatre jours du festival. Et presque toujours, le public a pu apprécier une musique attrayante. Comme par exemple l’Orchestra Nazionale Della Luna, finno-belgo-néerlandais, composé de quatre musiciens autour du pianiste Kari Ikonen et du saxophoniste Manuel Hermia. Ou encore du power trio norvégien Bushman’s Revenge, composé d’une batterie, d’une basse électrique et d’une guitare électrique, qui, même après plus de 20 ans d’existence, continue de nous emporter avec son mélange de prog-rock éclatant et de liberté jazzistique, et qui dégage bien les oreilles.

L’Ethnic Heritage Ensemble autour du percussionniste Kahil El’Zabar a peut-être affiché un peu trop de spiritualité par rapport au peu de musique captivante. En revanche, l’artiste poète aja monet n’a pas mâché ses mots avec des poèmes et des déclarations socialement et politiquement critiques, toujours accompagnés par les sons jazz décontractés de son excellent groupe. De jeunes groupes finlandais ont également pu être entendus presque tous les soirs au restaurant Telakka. C’est d’ailleurs là que s’est terminé le festival de cette année, avec le trio portugais de free-impro Bode Wilson pour un set intense, joué sans interruption, qui a captivé l’auditeur de minute en minute.

Le prestigieux Yrjö Award de l’association finlandaise de jazz a été décerné cette année au bassiste Antti Lötjönen.