Chronique

Signe Emmeluth’s Amoeba

Chimaera

Signe Emmeluth (as, comp) ; Karl Bjorå (g) ; Ole Mofjell (d) ; Christian Balvig (p)

Label / Distribution : Ora fonogram

On peut prendre le problème dans n’importe quelle direction, il faut reconnaître que la saxophoniste alto et compositrice danoise Signe Emmeluth [1] est une grande musicienne qui a le sens du collectif, du récit et dont les couleurs énergiques sont généreuses.
Ce deuxième disque contient tout cela.
Bon, il contient... disons plutôt qu’il explose tout ça !

Chimaera a été enregistré début 2019 et c’est donc ce répertoire que j’ai entendu au festival de Copenhague, lors d’un concert particulièrement marquant.

Par la densité de la musique (telle qu’on peut s’étonner qu’ils ne soient que quatre sur scène) comme par la structuration très verticale (et l’on verse assez vite dans l’architecture et les mathématiques), les compositions de l’altiste sont déjà très personnelles et évoquent un univers bien particulier, celui de son inventrice. Le groupe s’appelle Amoeba (Amibe) et l’album Chimaera (chimère, un adorable petit monstre des abysses) et il s’ouvre sur « Squid Circles » (beignets de calamar). On retrouve aussi un hommage au saxophoniste Jimmy Lyons (« Lyons »), une torche allumée et entretenue par une soufflerie où chacun des quatre musicien.ne.s actionne la pompe.
On sent tout le long de la narration un désir de matière.

Le son, la texture du son l’emportent parfois sur la mélodie sans pour autant traverser un maelström. Le dialogue saxophone-piano est très présent, basé sur une dualité forte, presque gémellaire dans l’exécution de certains traits rapides. L’ambiance est très marquée aussi par les cliquetis et les effets de la guitare, qui perle comme un vin naturel. Parfois, comme sur « Velvet », c’est la guitare qui part en tête ; c’est aussi ce sens très fluide de l’échange entre les quatre musiciens qui rend la musique aussi facile d’accès et permet un lâcher-prise. Il faut également apprécier le poids des silences, des soupirs, des respirations, nombreux sur ce disque, comme des paliers de décompression, des instants suspendus.
Le disque se referme comme il s’est ouvert, sur un solo de saxophone, petite pirouette colorée pleine d’effet de sourdine.

Ce quartet joue depuis plusieurs années dans la même configuration, on le sent ; il existe un précédent disque Polyp, enregistré en 2017 dans les mêmes conditions, également disponible sur la page Bandcamp du groupe.

par Matthieu Jouan // Publié le 12 janvier 2020
P.-S. :

[1Très impliquée dans la scène norvégienne bien que de nationalité danoise, Signe Emmeluth est donc souvent considérée comme une de ses représentantes. D’ailleurs les trois membres du groupe sont norvégiens.