Chronique

Sylvain Beuf

Long Distance

Sylvain Beuf (ts, ss, cl, fl), Pierre-Alain Goualch (p), Philippe Aerts (b), Gautier Garrigue (d).

On peut dire, sans prendre le risque de se tromper, qu’avec Long Distance, Sylvain Beuf vient de publier ce qui constitue son plus beau disque, le plus maîtrisé, sous la forme d’un carnet de voyage traversé d’un lyrisme qui s’exprime ici dans une des formules acoustiques les plus éprouvées de l’histoire du jazz (saxophone, piano, contrebasse, batterie). Parvenu à la soixantaine, le saxophoniste a derrière lui un parcours suffisamment riche pour avoir été en mesure de faire maintes fois la démonstration de son talent par nature altruiste. Ce ne sont pas Diego Imbert (sur le label duquel sort ce nouveau disque), Pierre de Bethmann, Pierrick Pédron, Michel Perez, Franck Agulhon ou André Ceccarelli qui vous diront le contraire. Depuis Impro Primo en 1993, Sylvain Beuf est présent sur la scène jazz, dans une certaine discrétion certes, mais sans jamais s’essouffler un seul instant.

Ici en quartet, il peut compter sur trois fortes personnalités pour mener à bien un périple qu’il dédie à son modèle en musique, Wayne Shorter : Pierre-Alain Goualch (piano), Philippe Aerts (contrebasse) et Gautier Garrigue (batterie). Cet hommage ne lui interdit nullement d’adresser un clin d’œil appuyé à un autre saxophoniste, Ornette Coleman (« Mr Coleman »), symbole pour lui de cette liberté qui guide ce nouveau voyage. L’équipe est particulièrement soudée, ce que confirme d’ailleurs le saxophoniste quand on l’interroge à ce sujet : « Une vraie magie s’est produite pendant l’enregistrement ! »

Tout au long de Long Distance, le quartet déroule le tapis rouge à un jazz de facture certes classique, mais d’une présence et d’une vibration on ne peut plus actuelles et prenantes. Compositions à l’écriture tendue et mélodique, thèmes accrocheurs, variations des rythmes et des couleurs (Beuf est particulièrement étincelant au saxophone) d’étape en étape : c’est toute la richesse d’une matière première qui est mise sur le métier et fournit la base d’un répertoire original transformé en pleine lumière par une force collective et des prises de paroles individuelles d’une constante intensité. Ici, on ne parle pas pour se mettre en avant, mais pour servir le groupe et nourrir une conversation qui ne se perd jamais en route. Il faut une fois encore souligner la capacité des musiciens, outre leur travail de modelage des textures, à exprimer au plus juste un chant en permanence poussé dans ses retranchements par leur imagination et leur lyrisme. Avec en permanence cette part d’inattendu qui fait qu’on ressent le besoin de poursuivre le voyage et qu’on accepte de se laisser embarquer avec eux.

On aura donc compris que Long Distance fait beaucoup mieux que « tenir la distance » : il la raccourcit diablement, sous les effets conjugués de quatre énergies au meilleur de leur forme.