Chronique

Tomeka Reid Quartet

3+3

Tomeka Reid (cello), Mary Halvorson (g), Jason Roebke (b), Tomas Fujiwara (dm)

Label / Distribution : Cuneiform Records/Orkhêstra

C’est en 2015 que la violoncelliste proposait un quartet appelé à faire date. Autant le dire, un second album était vivement attendu, tant 17W avait marqué de son sceau la décennie. 3+3 répond à ces attentes : on retrouve cet équilibre parfait de l’orchestre, avec cette connivence entre le violoncelle et son aréopage de cordes où l’alliance avec la contrebasse de Jason Roebke et la sororité qui l’associe à la guitare de Mary Halvorson sont gages d’un véritable équilibre. Dans « Sauntering With Mr. Brown », c’est Tomeka Reid qui induit le mouvement très léger du morceau, accompagnée d’abord de la batterie aux aguets de Tomas Fujiwara, toujours précis et inventif dans chacune de ses interventions. Ce quartet agit comme une gigantesque série de calques toujours en mouvement, où le violoncelle est une boussole dominante, jouant à toutes sortes de masques avec Halvorson, très sobre dans ses effets, mais néanmoins franchement moteur, et toujours prête à décupler les effets des archets.

On pourrait penser que c’est Jason Roebke l’acteur le plus discret de cette architecture, mais il ne faut pas s’y tromper. Aux prémices de « Turning Inward/Sometimes You Just Have to Run With it », il ombre d’un pizzicato souterrain le chant d’un violoncelle joliment dissonant ; il va le mettre en perspective, l’harmoniser à mesure que la batterie s’en mêle. Très coloriste, la base rythmique s’offre le plaisir de digresser avant que l’écho trouble de Mary Halvorson, proche de ce qu’elle propose dans le dernier Amaryllis ne vienne conseiller à l’orchestre de se mettre en ordre de marche ; Tomeka Reid s’appuie ici sur plusieurs relations télépathiques, basées sur sa propre intimité avec la guitariste, qui ne se trouve jamais loin de Fujiwara. Dans le premier morceau de l’album aux atmosphères changeantes au gré de ces complicités, c’est la fougue d’Halvorson confronté à l’opiniâtreté de Reid qui donne tout cet élan à l’album.

Entre contemporanéité et respect inchangé d’une certaine tradition, d’un rapport dynastique avec les avant-gardes, le Tomeka Reid Quartet avance toujours à pas de géant. On pourra entendre dans ce 3+3 comme la réponse, l’adhésion plutôt, de la violoncelliste à ce mouvement entamé par Tomas Fujiwara aux multiples de 3 dans son Triple Double, qu’Halvorson avait questionné dans son récent sextet. Ici, pas besoin d’être six, c’est la relation de Reid avec chacun de ses musiciens qui compte triple, sans (plus de) tambours ni trompettes.

par Franpi Barriaux // Publié le 22 septembre 2024
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