Chronique

John Hébert

Sounds of Love

John Hébert (cb), Taylor Ho Bynum (cornet), Tim Berne (as), Fred Hersch (p), Ches Smith (dms)

Label / Distribution : SunnySide Records

Figure importante de la scène américaine new-yorkaise de ces vingt dernières années, le contrebassiste John Hébert rend hommage à Charles Mingus. Marqué très tôt par le jeu et l’esthétique de son aîné, Hébert donne, en 2013, une série de concerts qui se conclut par cet enregistrement capté à Lugano en Suisse. Entouré pour l’occasion d’une formation d’appoint mais loin d’être au rabais, il conduit un all-star outre-atlantique qui lui permet de spontanément faire siennes les valeurs musicales du grand Charles jusque dans l’assemblage de personnalités au caractère contrasté.

Le cornet cuivré et fureteur de Taylor Ho Bynum se heurte bien souvent au saxophone acide et droit de Tim Berne tandis que le piano délicat de Fred Hersch tisse des nappes sonores, curieuses et mélodiques. L’ensemble, plutôt que bancal, invente des couleurs tranchantes et éloquentes. À travers quatre pièces signées de la main du bassiste, on assiste à une succession de moments où les musiciens s’expriment comme ils le souhaitent, s’interpellent et se confrontent. L’esthétique est délibérément contemporaine et ne cherche pas spécialement à reprendre les traits d’une musique venue du passé. Le jeu sur les dissonances, le travail sur une épaisseur du timbre, parfois assez dur, est souvent la base d’un développement qui prend le temps de s’échafauder pour déboucher au final sur des territoires ouverts alimentés par la batterie fortifiante de Ches Smith.

Si on peut reprocher, sans doute, un manque d’articulations claires à ces compositions trop affairées à creuser un sillon droit et aride, c’est bien dans les deux compositions (« Remember Rockefeller at Attica » et « Duke Ellington’s Sound of Love ») directement empruntées à Changes One, paru en 1975 chez Atlantic (avec Jack Walrath, George Adams, Don Pullen, Dannie Richmond) que le live prend sa valeur. À l’aise dans cet univers qu’ils semblent connaître sur le bout des doigts, ces musiciens, par ailleurs, explorateurs d’esthétiques nouvelles dans leur propre travail, plongent avec une gourmandise évidente dans un débordement d’harmonies riches et rutilantes et d’un swing communicatif. « Frivolicity », de Hébert, qui conclut le disque à sa manière, prolonge cet enthousiasme et inscrit, pour le coup, pleinement le quintet dans le prolongement de Mingus.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 1er mai 2022
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