Tribune

C’est étudié pour : la contrebasse

Une série sur les instruments sans lesquels...


Dans notre série « C’est étudié pour » (dédiée au grand Fernand Raynaud dont les carrières de jazzeux, luthier et facteur furent aussi essentielles que discrètes), aujourd’hui : La Contrebasse.

Je pérecque [1] : Il est cinq heures, Mexico s’éveille. Au coin d’une rue (?) défoncée, devant une cantina, gît un saxophoniste ; il ronfle, les lèvres encore soudées à l’embouchure de son instrument qui émet quelques timides borborygmes. Derrière lui, des gobelets plastiques vides roulent encore, une bouteille de mezcal se fracasse contre le mur. Le batteur a depuis longtemps plongé la tête dans sa caisse claire. Ça pue le vomi et la pisse. Deux jambes plantées sur des sandales à semelle en pneu et la pique de son instrument assurent au contrebassiste un équilibre précaire. Il joue, répétant inlassablement les mêmes notes qu’il accompagne d’un scat (?) aviné. Jusqu’à quand ? L’effondrement du cinquième soleil peut-être [2]… La contrebasse, contrabajo, con trabajo, c’est vrai que c’est un sacré travail de la transporter au long des rues, d’une cantina à l’autre pour gagner son mezcal quotidien.

Quatre cordes d’un bon mètre dix, plutôt grosses, qui s’étirent sur un manche, et une boîte en bois. A l’extrémité supérieure quatre chevilles, un point d’appui intermédiaire et à l’inférieure un tire-cordes. Le point d’appui c’est le chevalet et les chevilles servent à étirer les cordes avant qu’elles pètent. Étirement, chevilles et chevalet, ça pue la torture moyenâgeuse, non ? Pense-t-on à la souffrance de ces pauvres cordes qui grincent leur douleur lors de l’accordage ? On s’en fout bien sûr. Enfin, il aurait fallu demander à Mingus, le moins qu’un chien en avait sûrement à dire, éructer et aboyer là-dessus mais c’est trop tard ; elles chanteront, ne leur déplaise. On aime ça.

Une taille qui en fait le seul instrument sur lequel on peut littéralement se reposer (voir plus haut), tous les adeptes vous le confirmeront et même la formation au grand complet, qui compte sur elle pour assurer la pulsation qui la porte.

Une grosse caisse de résonance où se lovent les sons, se glissant dans tout le contour d’icelle avant de s’échapper par les ouïes, susurrer, geindre ou gronder et j’en passe, en emplissant l’espace.

Je les préfère un peu usagées, griffées, un peu écaillées par endroits, blessures d’une existence pleinement vécue.
Danseuse un poil rebondie, adepte des pointes à perpétuité, serrée par son exécutant dans une étreinte lascive ou pugnace en passant par toutes les nuances connues ou à imaginer (cinquante ?), cordes caressées ou frappées par l’archet, pincées ou arrachées, c’est de l’amour parfois vache.
Moi, en tout cas, j’en pince pour le tololoche (prononcer tololotché), c’est comme ça que l’instrumentiste de ma pérecquation appelle sa grand-mère [3].
Et si, là-dessus, on s’envoyait un godet, noyés dans le Tijuana Moods de ce bon vieux Mingus ? Ça s’impose, non ?

par Biyet Dumeur // Publié le 13 novembre 2016

[1Pérecquer : verbe trans. Faire du (sous-) Perec, c’est-à-dire égrener d’improbables souvenirs.

[2Voir la Cosmogonie aztèque.

[3Nom souvent donné sous nos latitudes à la contrebasse en jargon musico.