Scènes

Dave Rempis met le feu à l’Hexagone

Tournée française du Dave Rempis Percussion Quartet : soirée d’ouverture au Petit Faucheux.


Dave Rempis Percussion Quartet, photo Rémi Angéli

Tournée française pour le Dave Rempis Percussion Quartet qui porte le feu sur la forge des scènes hexagonales. Dès l’ouverture, d’ailleurs, avec une première date brûlante à souhait au Petit Faucheux le mardi 14 mars.

C’est une initiative qu’il faut louer et à laquelle on souhaite un bel avenir. À l’initiative du Petit Faucheux, cinq salles s’associent pour organiser une tournée d’un groupe américain. Outre le Faucheux à Tours, Jazz à Poitiers, Pannonica à Nantes, Plages Magnétiques à Brest et Le Périscope à Lyon mutualisent les frais de tournée, s’assurent une cohérence dans les déplacements, minimisent la rétribution du groupe et lui assurent en retour le confort de dates suivies. A l’heure où sont nécessaires les économies et la recherche d’une optimisation des transports dans une visée de transition écologique, l’idée est plus que bonne : elle est indispensable. Elle permet de surcroît de proposer à un public français des groupes étrangers peu, voire jamais vus en France.

Dave Rempis, Ingebrigt Håker Flaten et Jean-Luc Cappozzo, photo Rémi Angéli

Quinze ans d’existence pour le Dave Rempis Percussion Quartet, par exemple, et « c’est le tout premier concert chez vous », déclare le leader. La salle est bien remplie et à coup sûr aguerrie : la soirée était attendue, certains ont fait le déplacement depuis Paris. Sans regret, on l’imagine, puisque les quatre musiciens attaquent directement par une musique frontale, totalement free, extrêmement tonique.

Le saxophone nous touche aussitôt. Il nous traverse. Le volume est fort, certes, mais ce n’est pas tant ça : le son est surtout puissant, direct, sans hésitation. Dave Rempis le tord très vite dans tous les sens et l’impulsion qui permettra d’engager le concert ne met pas longtemps à arriver. Les quatre musiciens ne se cherchent pas, ils sont aussitôt dans le jeu.

Le saxophoniste trouve au coeur de ses emportements des phrases brûlantes qu’il fait jaillir de son pavillon, des chants sensibles.


Avec deux batteurs, difficile, il est vrai, d’être dans la demi-mesure. À droite, Frank Rosaly, à gauche, Tim Daisy. Fait notable mais sans grand intérêt, tous les deux jouent en chaussettes. Le premier est un spectacle à lui seul : il s’affaire sur son instrument, attrape les fûts comme s’il déménageait avec un air soucieux voire sourcilleux. Puis, au moment où on ne le regarde plus, il impose un geste fort qui réoriente le déroulement du morceau. Le second est avant tout une posture. Droit sur sa colonne vertébrale, plus économe de mouvements, il a, comme le saxophoniste, une force de frappe qu’il double de nombreuses interventions toujours à propos, réfléchies et sensibles. Il est un contrepoint à son collègue, voire le contre-chant du leader.

Au centre enfin, Ingebrit Håker Flaten est l’ombre impressionnante du saxophone, son double en propositions bruitistes. Avec une approche très physique de son instrument, il tapisse de soubassements explosifs les fondations du quartet. Jamais à court d’idées, il est à la fois autonome et toujours volontaire. Sa main droite est faite de griffes qui accrochent les cordes ; coinçant la plus aiguë à l’extérieur du manche, il en extrait un son qui grésille et apporte un effet supplémentaire au propos.

Ne partons pas, pourtant, du principe qu’ici tout est seulement bruit et fureur. Le saxophoniste, notamment, trouve au cœur de ses emportements des phrases brûlantes qu’il fait jaillir de son pavillon, des chants sensibles, décharnés sûrement mais d’une sensibilité exacerbée, et la communion qui lie les quatre membres du quartet ajoute à cette générosité.

Concert en deux sets, deux fois trois quarts d’heure, 1 heure 30 de musique - c’est mieux qu’un film d’action. Dès le départ, annonce Rempis, un invité viendra les rejoindre en seconde partie. Sac en bandoulière, entrant sur scène comme s’il passait par hasard, Jean-Luc Cappozzo s’installe. Les langues ont une racine commune mais les accents diffèrent un peu. Au quartet, le free afro-américain ; au trompettiste la musique improvisée. Ce ne sont pas exactement les mêmes approches mais la rencontre fonctionne. Cappozzo, d’abord au bugle, se love dans la lave. Il la creuse. Ne cherchant pas l’outrance ou la boule de feu, il sculpte la matière patiemment pour donner les conditions d’envol nécessaires au saxophone. C’est un plaisir de les voir travailler. Et pour le public, comme toujours dans ces musiques, de vivre des moments uniques, aussitôt volatilisés, aussitôt gravés dans le souvenir. La suite, le lendemain, à Poitiers.