Américain installé à New-York, le violoniste Modney (lire son portrait) déboule dans le monde du jazz contemporain et de l’improvisation avec un impressionnant bagage classique. De surcroît, sur le troisième album de sa discographie, il ne vient pas seul. Accompagné de partenaires issus justement de ce monde classique comme de musiciens improvisateurs patentés, il propose en un double disque paru chez Pyroclastic une œuvre monde qui impressionne par sa radicalité et l’affirmation de son propos abouti.
Organisé en six compositions qui vont du solo à l’orchestre de onze musiciens, Ascending Primes donne à entendre une musique en tension dans laquelle on perçoit un travail sur la matérialité du son, grain et texture, et les moyens de la mettre en mouvement. Adepte d’un travail au long cours (les pistes sont longues de plusieurs minutes) permettant de creuser un sillon et explorer un univers, le violoniste s’est s’entouré d’un instrumentarium traditionnel (saxophone, tuba, trompette), comme plus actuel (électroniques, piano et clavier transformés, pédales d’effet) qui donnent une dimension supplémentaire à une musique certes exigeante mais qui recèle d’indéniables qualités.
Car, jouant sur les effets de contrastes, sur les oppositions de masse, du ténu au gros volume, au fil d’un répertoire qui prend de l’ampleur au fur et à mesure de son déroulé, l’auditeur découvre une écriture au sein de laquelle, bien évidemment, la dimension improvisée joue une part notable. Pourtant, rien n’est entièrement laissé à la charge d’un processus entièrement libre qui verrait le geste improvisationnel engendrer un sens dans l’instant de sa production ; en sus de la part concrète sur le son, se dévoile également un souci de la dramaturgie dont attestent les développements pensés des morceaux.
Les deux compositions placées sur le second disque montrent plus manifestement un souci du narratif. Oscillant entre un vocabulaire contemporain et un jazz bruitiste, elles sont nourries par la présence de Kate Gentile et sa frappe éloquente ou encore les chocs cuivrés de la trompette de Nate Wooley contre le tuba de Dan Peck qu’adoucit la présence de la saxophoniste Anna Webber et offrent une ascension irrémédiable au sentiment tragique. Avec une sensibilité extravertie, Modney nous donne ainsi accès à une œuvre personnelle, altière jusque dans sa superbe mais dont ne peut nier la puissance et l’assurance de son propos.