Chronique

Yves Rousseau

Shabda

Yves Rousseau (b), Géraldine Laurent (as), Jean-Marc Larché (ss), Jean-Charles Richard (bs, ss), Clément Janinet (vln, mand), Christophe Marguet (d).

Label / Distribution : Alla Luna

Amoureux de la transmission, Yves Rousseau est aussi un musicien à géométrie variable. Souvenons-nous par exemple du septet Wanderer en 2015 ou, la même année, du quartet qui avait publié Akasha ; ou bien encore d’un quintet formé avec Christophe Marguet en 2020 pour l’album Spirit Dance. Et plus récemment d’un autre septet avec l’album Fragments, jusqu’au duo Continuum en 2022 pour une déambulation À petits pas avec le saxophoniste Jean-Marc Larché. Le contrebassiste ne fixe jamais le cadre formel de son inspiration, c’est elle qui modèle l’environnement à sa mesure.

Yves Rousseau modifie une fois encore sa formule et prend appui sur celle d’Akasha : Christophe Marguet (batterie), Jean-Marc Larché (saxophone soprano) sont présents, tandis que le pupitre du violon, auparavant occupé par Régis Huby, est tenu par un « petit nouveau », Clément Janinet. Pour que la respiration soit plus profonde, sont appelés en renfort le saxophone alto de Géraldine Laurent (déjà à l’œuvre sur Fragments) et les saxophones soprano et baryton de Jean-Charles Richard.

Le titre de ce nouveau disque, Shabda, désigne le son de la parole, du mot, mais aussi sa vibration originelle en sanskrit. Mais l’essentiel est bien ici la musique offerte par un Yves Rousseau en majesté. Ce dernier a peaufiné en six suites étales un répertoire dont les formes aux mouvements amples embrassent ses expériences passées pour les conjuguer au présent. Une proposition alliant impressionnisme, romantisme, amour du rock progressif et une quête de liberté propre au jazz, dont l’étendard est brandi par des solistes qu’on sent gagnés par une forme de recueillement (la conversation des trois saxophones est un pur plaisir) et un couple rythmique à la force souple éprouvée depuis longtemps. Clément Janinet maintient de son côté une tension de chaque instant. Les couleurs de Shabda sont la plupart du temps méditatives, porteuses de nuances nocturnes, parfois nostalgiques. Comme s’il y avait dans son apparent classicisme (thèmes majestueux, textures feutrées, pulsation douce) un désir de ne pas se limiter à la simple exposition des émotions pour passer vers un ailleurs plus imperceptible, plus intemporel, et ouvrir de nouvelles portes, jusqu’à une libération finale dans une danse joyeuse aux accents volontiers rock.

Shabda est un voyage intérieur, il est de ces disques qu’on ressent tout autant qu’on les écoute. Une manière d’antithèse de notre monde désincarné.