Scènes

Don’t Tell : retour gagnant

La tournée française d’automne de The Bridge regorge d’enseignements.


Don’t Tell au Périscope @ The Bridge

Après un match aller frôlant le désastre à Chicago, Don’t Tell, le groupe composé de la saxophoniste alto/flûtiste Mai (prononcez Maille) Sugimoto, des contrebassistes Anton Hatwich et Paul Rogers et du guitariste Raymond Boni se reprend en France, même si quelques doutes subsistent.

Le 2 octobre, Don’t Tell quitte la congestion parisienne pour le bucolisme dijonnais et son premier concert. Au Maquis, la formation conclut le Tribu Festival organisé par l’association Zutique Productions. Ces retrouvailles montrent que Don’t Tell a un véritable son sans que les musiciens n’aient à se départir de leur personnalité. On assiste à un impressionnant foisonnement d’idées. Paul Rogers et Anton Hatwich se complètent, l’un à l’archet, l’autre en pizzicato, et inversement - le premier privilégiant les couleurs, le second la recherche rythmique. Les variations aigres-douces de Mai Sugimoto oscillent entre Ornette Coleman et Lee Konitz. Au milieu de tout cela, les sons que Raymond Boni extrait de sa guitare fusent de toutes parts et sont ponctués d’attaques brutales et cinglantes.

Paul Rogers à Dijon @ Alain Drouot

Ces premières impressions se confirment au Périscope à Lyon le mercredi 5 octobre puis au Théâtre Sainte-Anne-d’en-Bas à Grenoble le vendredi 7 octobre. Les contrebasses grognent ou grincent, Sugimoto butine ou bégaye et Boni allume des feux. Les climats sont lancinants, parfois inquiétants, mais peuvent se charger d’émotion sous la houlette d’un Rogers qui s’aventure parfois dans la polyphonie. De temps en temps, mélodies et humour pointent également leur nez.

Alors que Don’t Tell semble sur la bonne voie, on déchante quelque peu au Pannonica de Nantes le 9 octobre. Après une première improvisation collective dans la lignée des concerts des jours précédents, le groupe est rejoint par la violoncelliste Soizic Lebrat. Dès lors, le mur de son créé par les joueurs de cordes isole Mai Sugimoto qui a bien du mal à exister. À la réflexion, on peut en effet regretter qu’au sein du quatuor elle se contente d’accompagner, de commenter ou d’ornementer les contributions de ses trois partenaires sans jamais prendre les devants. Et il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle hurle ou se déchaîne : ce n’est simplement pas sa personnalité. Cela dit, au cours du concert organisé par le Centre international des Musiques Nomades (CIMN) à Grenoble, on constate du nouveau. Ce soir-là, les Américains et les Européens font notamment bande à part pour deux duos révélateurs, surtout celui formé par les premiers. La saxophoniste se montre en effet plus agressive et prouve qu’elle est parfaitement capable de faire des propositions, chose qu’elle semble éviter au sein de Don’t Tell laissant l’initiative à ses trois compagnons.

Don’t Tell à Grenoble @ The Bridge

Dans le cadre du Bridge, l’expérience vécue par les musiciens à Chicago diffère de celle connue en France. Aux États-Unis, les musiciens locaux rentrent chez eux le soir ; trouver une cohésion et tisser des liens deviennent plus ardus. Dans l’Hexagone, le parcours de ville en ville dans un van crée une plus grande intimité. À Chicago, les musiciens français ont aussi la possibilité de faire de multiples rencontres et activités en dehors de leurs concerts. C’est pourquoi l’architecte de The Bridge, Alexandre Pierrepont, a décidé d’organiser des résidences pour les tournées françaises. Et pour le troisième essai, le Périscope de Lyon est à l’ouvrage. Le programme concocté par Alice Rouffineau, responsable des projets d’action culturelle, est plein d’enseignements. Le 3 octobre, le groupe ne fait pas recette au Chez Daddy où des pensionnaires de la maison de retraite voisine ne sont pas réceptifs, tant s’en faut. S’ensuit une discussion candide où les plus déconcertés expriment leur perplexité face à une telle approche musicale. Deux spectateurs viennent tout de même apporter un point de vue contraire, leurs a priori ayant été bousculés pour le meilleur - comme quoi tout n’est jamais complètement perdu.

Don’t Tell avec l’ARFI @ The Bridge

Le lendemain, la rencontre avec trois musiciens de l’ARFI - Christian Rollet à la batterie, Clément Gibert à la clarinette basse et Olivier Bost au trombone - est un succès en raison de la fluidité entre les protagonistes. Plut tôt dans la matinée, les étudiants de la nouvelle promotion du Cefedem (Centre de formation des enseignants de la musique) posent des questions pertinentes suite à une courte démonstration. Outre la question habituelle sur la contrebasse insolite de Paul Rogers, les problématiques d’une écoute active, des sons en opposition aux notes, de la pudeur qui peut retenir les musiciens lors d’une première rencontre et de la capacité des artistes à se surprendre sont évoquées. L’implication de l’auditoire et sa curiosité sont de bon augure et tendraient à montrer qu’il reste un avenir pour les musiques improvisées.