Scènes

Vilnius Jazz fait son cinéma 🇱🇹

Quelques souvenirs du festival lituanien 2024.


Pendant plus d’une semaine, la capitale lituanienne a présenté de belles découvertes dans le domaine du jazz et du cinéma.

Vive les duos ! Les amateurs de cette plus petite formation après le solo ont dû rentrer chez eux satisfaits après la première soirée de la 37e édition du Vilnius Jazz.

Vincent Courtois & François Corneloup © Vygintas Skaraitis

Le directeur du festival, Antanas Gustys, a mis trois formations en duo sur la scène du magnifique vieux théâtre de Vilnius. Vytautas Landsbergis, musicien et musicologue, mais aussi homme politique de premier plan et premier chef d’État de son pays après le retour de la Lituanie à l’indépendance en 1990, a lu ses propres poèmes. Le légendaire Russe Vladimir Tarasov, qui vit en Lituanie depuis longtemps, a spontanément joué du tambour selon ce qui lui passait par la tête. Malheureusement, l’ensemble manquait souvent d’enthousiasme. Certainement aussi parce que les non-Lituaniens ne comprenaient pas les textes lituaniens. Les deux Français Vincent Courtois et François Corneloup, au violoncelle et au saxophone baryton, n’ont en revanche pas eu besoin de mots et ont enchanté le public par leurs conversations entre courtes mélodies accrocheuses et pensées libres, tout comme le duo australien Alister Spence (piano) et Tony Buck (batterie) par la suite.

Nout © Greta Skaraitiene

La seconde soirée du festival s’est déroulée dans un climat d’effervescence. La flûte, les percussions et la harpe électrique forment une instrumentation étonnante. Et ce que Delphine Joussein, Rafaëlle Rinaudo et Blanche Lafuente en font au sein du Trio Nout est délirant. Les jeunes Françaises ne se contentent pas de modifier les sons de la flûte et de la harpe, qui sonnent alors comme d’autres instruments, elles proposent également un mélange séduisant de jazz, de noise rock et d’électro qui semble tantôt détaillé, calme et presque acoustique, tantôt brutal et qui s’abat sur l’auditeur comme un orage de heavy metal.

Les Elder Ones se concentrent davantage sur des paysages sonores hypnotiques. La figure charismatique du groupe américain est la chanteuse et harmonicienne indienne-américaine Amirtha Kidambi, dont la forte conscience sociale et politique transparaît dans ses annonces, peut-être même trop souvent. Ses bourdons à l’harmonium et ses vocalisations souvent sans paroles sont mis en contraste par son groupe, composé de deux excellents saxophonistes, d’une contrebasse et d’une batterie aux textures et aux rythmes variés, créant un jazz spirituel captivant aux saveurs d’Inde du Sud.

Gintė Preisaitė © Daiva Kloviene

La soirée japonaise a débuté par trois « sound seekers », peut-être un peu longs, avec la pianiste lituanienne Gintė Preisaitė et les deux musiciennes japonaises Sachiko M à l’oscillateur et la percussionniste et joueuse de marimba Aikawa Hitomi. Quoi qu’il en soit, le clou du spectacle a été la prestation du Special Big Band d’Otomo Yoshihide, composé de nombreux artistes. L’orchestre du légendaire guitariste et sa concoction avant- noise-jazz-rock hardcore ont emporté le public de la salle comble avec beaucoup de fougue et, à l’occasion, des passages merveilleusement groovy et accrocheurs et des sections de cuivres endiablées.

Le LENsemble du chef d’orchestre lituanien Vykintas Baltakas, un groupe composé de onze bois et cuivres, d’une contrebasse et d’une batterie, renforcé au Vilnius Jazz par la soprano belge Naomi Beeldens, a exigé beaucoup d’attention de la part du public. Surtout avec l’œuvre multimédia d’une demi-heure « M is for Man, Music, Mozart » du compositeur néerlandais Louis Andriessen, à laquelle le réalisateur britannique Peter Greenaway a ajouté des séquences de vidéos provocantes et socialement critiques, projetées sur un grand écran au-dessus de la scène. Un jeu de mots, des images dessinées avec une esthétique sensible, une œuvre pour les sens qui soulève des questions. Superbement interprétée par le LENsemble.

LENsemble © Vygintas Skaraitis

L’œuvre d’Andriessen « Il Duce » est également source de provocation à Vilnius. Ce ne sont pas tant les extraits d’un discours du dictateur italien Mussolini qui sont provocants, mais la façon dont ses paroles sont diffusées en boucle pendant plusieurs minutes, se dissolvant et s’autodétruisant lentement grâce à une habile manipulation de la bande. Il s’agit d’une réflexion percutante sur le fascisme, qui s’achève de manière appropriée par une coda reprenant le célèbre « Ainsi parlait Zarathoustra », de Richard Strauss.

Le concours Vilnius Jazz Young Power au théâtre et des conférences intéressantes sur l’art de l’arrangement ou la culture japonaise du jazz, qui ont eu lieu pour la première fois dans l’élégant musée d’art moderne, le MO Museum, ont complété le festival. Pour la première fois, des soirées cinéma ont été organisées avant et après les deux jours du festival, avec des films passionnants du documentariste britannique Dick Fontaine sur Art Blakey ou Sonny Rollins. Son film sombre « I Heard It Through The Grapevine » du début des années 1980, dans lequel la caméra accompagne le militant des droits civiques et auteur afro-américain James Baldwin dans un voyage à travers le Sud des États-Unis, a fait sensation. Le film revient sur le mouvement des droits civiques des Noirs dans les années 1960. Un film terriblement actuel et donc important. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir seulement du jazz dans un festival de jazz.