

Musina Ebobissé
Abstract Narratives
Musina Ebobissé (ts), Olga Amelchenko (as), Simon Chivallon (p), Étienne Renard (b), Stéphane Adsuar (d).
Label / Distribution : Quai Son Records
Surtout ne pas trop se fier au titre de ce troisième album en quintet de Musina Ebobissé. Car ce qu’il nomme ses « récits abstraits » pourraient laisser imaginer une distance entre la musique et ses récepteurs, voire une pointe de froideur conceptuelle. Il n’en est rien, bien au contraire. De par le renouvellement de sa formation et le maintien d’une complicité de souffle avec sa condisciple Olga Amelchenko, le saxophoniste fait valoir sa science des couleurs et le soin apporté à un travail d’écriture portant haut des thèmes (assez majestueux, il faut le souligner) dont les inspirations sont multiples, dans la continuité de son prédécesseur, Engrams. Peinture, théâtre, littérature et bande dessinée sont ici convoqués comme autant de sources au service d’un langage dont la sensibilité à fleur de peau et l’expression d’une élévation d’essence coltranienne vous balancent entre tension et détente, sources d’un réel plaisir tant physique que spirituel. Musina Ebobissé dit penser « en termes d’humeurs », qu’on ne confondra pas avec des états d’âme. Parce que le musicien ne se laisse pas gagner par une forme de résignation face aux réalités du présent, préférant rester en éveil (ainsi « Fireside Angel », inspiré du tableau de Max Ernst en référence à la montée du fascisme, d’une désolante actualité) – comme s’il était prêt à engager un combat – et libérer une énergie qui irradie un collectif poussé avec conviction par un trio en pleine forme. Car pour être de nouveaux venus dans cette histoire, Simon Chivallon, Étienne Renard et Stéphane Adsuar n’en sont pas moins au cœur du mouvement, investis dans une action qui a commencé pour eux avec l’interprétation sur scène du répertoire d’Engrams. Fougue, imagination et onirisme sont au programme de huit compositions qui mettent en lumière la conversation mélodique se jouant entre les deux saxophones et leur association de textures, que nous avions déjà soulignées. Assurément, ces cinq-là sont habités de tout ce qui fait le jazz : par le groove, par le chant et par l’idée que la musique est porteuse de sens sans pour autant être donneuse de leçons. À l’exception toutefois de celle d’un jazz conjugué au présent mais pas oublieux de son héritage ; ce qui ne signifie pas pour autant l’enfermer dans une forme quelconque de célébration. Abstract Narratives est la confirmation, s’il en était besoin, du grand talent de Musina Ebobissé.