Scènes

Jazzdor, Strasbourg - Berlin, juin 2013

La belle aventure continue ! A Berlin, la 7e édition de Jazzdor Strasbourg-Berlin a eu lieu du 5 au 8 juin 2013. Avec des concerts de très haut niveau et une belle assistance.


La belle aventure continue ! Dans la Kesselhaus de la Kulturbrauerei, à Berlin, la 7e édition de Jazzdor Strasbourg-Berlin a eu lieu du 5 au 8 juin 2013. Avec des concerts de très haut niveau et une belle assistance.

Faire le compte rendu d’un concert à chaud, dans la bousculade des salles de rédaction et l’ambiance électrique des rotatives qu’on sent sur le point de démarrer parce que le moment est venu m’a toujours excité, et au fond, le temps n’est pas si éloigné, ça se passait comme ça à Bordeaux, au journal Sud Ouest. Mais prendre de la distance avec l’événement, le juger et le jauger après réflexion est une entreprise également pleine d’enseignements. Ici, et par rapport au festival qui s’est tenu à Berlin du 5 au 8 juin 2013, on procèdera selon la deuxième méthode.

Trois semaines se sont écoulées depuis qu’Antoine Berjeaut a fait résonner les dernières notes de trompette dans la salle du Kesselhaus. Il est temps de réévaluer l’ensemble. Selon plusieurs axes, et dans un certain ordre aléatoire. Quatre soirées de jazz d’orientation plutôt contemporaine comprenant trois concerts chacune ne permettent pas une écoute égale entre toutes les formations. C’est même à se demander s’il ne faudrait pas réduire un peu la voilure, tout en reconnaissant que les soirées à deux concerts induisent l’idée d’une « première partie » (et donc d’une seconde), et que proposer un seul concert ne serait pas sérieux. Alors va pour la formule du soir à trois plateaux, qui a au moins le mérite de la diversité.

DUOS AU SOMMET

Trois duos en quatre jours, tous proposés en début de soirée, et quels duos !!! Michel Portal et Vincent Peirani ont inauguré le festival en plaçant la barre très haut. Parce que leur entente est exceptionnelle, leur plaisir de jouer manifeste, leur répertoire d’une intelligence remarquable. « Dancers In Love », pièce aérienne et subtile de Duke Ellington, reprise en fin de concert, concentre à elle seule toutes les vertus de ce dialogue, joie et jouissance, raffinement, swing (mais oui !!!), savantes ornementations et fragrances populaires. On les applaudirait sans fin, on les aime, d’ailleurs l’amour est au cœur de tout ça, et il n’est pas sans le savoir. Chez Wu Wei et Pascal Contet (accordéon lui aussi) on est un peu dans le même registre, avec une connotation voyageuse plus affirmée. Depuis leurs premiers échanges, Wu Wei s’est enhardi à jouer d’autres instruments que son (superbe) orgue à bouche, il accueille dans la musique qu’il propose beaucoup de la tradition chinoise qu’il connaît et habite, et ça fonctionne à merveille. Enfin, premier concert de la dernière soirée, le duo Joëlle Léandre/Vincent Courtois : on n’en revient pas de cet allant, de cette aisance à rebondir de l’un à l’autre, de cette « facilité » à inventer de la musique en train de se faire. Un triomphe. Pour Vincent Courtois, humoriste à ses heures, tout ça est très simple, « Mettez deux cordes ensemble comme ça, ça fonctionne toujours, ce n’est pas très compliqué ». On le croirait presque. Sauf que le nombre d’heures de travail de l’un et de l’autre additionné, la quantité de musique qu’ils ont dans la tête, la vivacité avec laquelle ils se répondent quand la relance le requiert, ça ne se décrète pas. Ce concert pourrait être édité tant il a été magnifique de bout en bout.

SONGS, NO SONGS, ORNETTE TO BE

Les formations plus étoffées ont pris leur part de musique, et de réussite, même si l’on doit marquer ici des nuances, qui tiennent sans doute plus à la quantité de travail nécessaire pour qu’une musique écrite - en partie au moins - puisse advenir au concert dans une certaine liberté, qu’à la qualité des instrumentistes engagés. J’ai repris en sous-titre l’expression utilisée par Denis Badault et son H3B pour présenter son projet, soit une alternance de « chansons » et de « non chansons » dont le but ultime est de montrer à quel point cette distinction n’est pas vraiment pertinente. Et de fait, Régis Huby, Tom Arthurs et Sébastien Boisseau, entourant le pianiste, font assaut d’invention mélodique dans des pièces ouvertes et largement improvisées (No Songs), cependant qu’ils parviennent à briser les grilles bien établies des pièces plus explicitement mélodiques (Songs). Un beau moment malgré l’heure tardive, Huby et Arthurs rivalisant d’engagement, Boisseau restant précis et attentif. On le retrouvera trois jours plus tard au sein de J.A.S.S.

Denis Badault Photo H. Collon

Le trio formé par Samuel Blaser (tb), Marc Ducret et Peter Bruun (dm) était très attendu. Et de fait, leur musique acérée, aux arêtes pointues, s’inscrit parfaitement dans le dépassement de ce qui est « song » ou « no song » ! Une prestation assez courte, écoutée avec quelque distance, et au final un sentiment bizarre, comme s’il fallait attendre un peu pour que les choses se libèrent entre les trois partenaires. Samuel Blaser est également présent dans J.A.S.S. ; son jeu de trombone est nuancé et impressionnant de précision dans un groupe où John Hollenbeck (dm) fait montre d’un sens des couleurs et d’une efficacité remarquables. Quant au membres d’Actuum, ils ont prouvé encore une fois qu’on ne saurait les réduire à une copie plus ou moins conforme du quartet d’Ornette Coleman première époque. D’une part parce que, de la musique du célèbre groupe, ils retiennent la forme mais en compliquant les énoncés, en les diabolisant par la vitesse (comme John Zorn à ses débuts) et surtout par une manière d’excitation qui les rend zébrés, traversés de coupures infinies. D’autre part - et cela pourrait être un reproche - ils ne conservent de la musique d’Ornette que son côté emballé, rapide, dansant, et ne ménagent peut-être pas assez de moments de repos. Car la musique d’Actuum exige de l’auditeur une attention extrême ! Dans un registre très voisin, on notera que le quartet d’Heinz Sauer et Daniel Erdmann, « Special Relativity », fait entendre un saxophoniste ténor mal connu chez nous (Sauer), qui sait dialoguer avec Erdmann pour proposer une musique aux accents lyriques. Un seul quintet de toute la semaine, animé par le tromboniste Gueorgui Kornazov, avec une super rythmique et en invité un Emile Parisien toujours aussi percutant.

VOCALITES

Alors, chansons ou pas chansons dans le très original trio de Denis Charolles, Maggie Nicols et David Chevallier ? On dira que, là encore, la question ne se pose pas vraiment, même si l’Écossaise montre qu’elle sait non seulement « vocaliser » avec technicité et pertinence mais également chanter avec sensibilité, et même si les combinaisons entre les trois « instrumentistes » font monter la tension de façon perceptible. J’ai rangé dans cette case le travail de Guillaume Orti avec l’European Saxophone Ensemble bien qu’il ait peu de rapport avec la voix. Mais présenter les œuvres nouvelles de quelques compositeurs - dont certains étaient dans la salle - pour douze saxophones avec une telle sérénité est déjà, en soi, une performance. Et puis certaines pièces, dont celle qui met en scène les instrumentistes dans une sorte de théâtre musical bien réglé, présentent plus qu’un intérêt de façade.