Scènes

Cologne Jazz Week, un coup de maîtres

Ce n’est que la deuxième édition et déjà ce festival impressionne par sa qualité et sa maturité.


Petter Eldh © Niclas Weber

Après une édition tronquée pour cause de COVID, le projet collectif de la Cologne Jazz Week s’est tenu du 13 au 20 août 2022. Avec plus de 50 concerts et près de 7000 spectateur.rice.s venu.e.s écouter les 200 musicien.ne.s programmé.e.s, le festival a fait le plein de ses petites jauges. Toute la semaine, il s’appuie sur un réseau de salles partenaires, clubs et scènes en plein air, pour distribuer les concerts dans la ville. L’épicentre restant le grand Stadtgarten et ses trois scènes, ses bars et son restaurant ainsi qu’un espace où discuter et rencontrer les artistes.

Savannah Harris & Petter Eldh © Niclas Weber

L’organisation de ce festival est collective. Sous la houlette très active du jeune, omniprésent et dynamique directeur artistique Janning Trumann (par ailleurs tromboniste de jazz au parcours assez conséquent) et d’un groupe de commissaires, l’équipe rassemble plus d’une dizaine de personnes. Le financement est assuré en grand partie par la Ville de Cologne, les fonds pour la culture du Land Rhénanie du Nord-Westphalie, le ministère de la culture fédéral et d’autres dispositifs liés à la création et à la musique. Parmi les sponsors et partenaires, la WDR3 pour la partie enregistrement et streaming et NICA pour la partie mise en avant de nouveaux talents de la scène rhénane.

Certes, ce n’est pas le seul festival à fonctionner de cette manière, mais pour une deuxième édition, c’est vraiment du sérieux. D’ailleurs, plusieurs groupes étaient également programmés soit à Oslo Jazz, soit au Jazzfestival Saalfelden, deux festivals qui tournent au même moment : c’est dire si déjà la Cologne Jazz Week est sur la carte officielle du circuit des festivals européens.

Le club Jaki © Niclas Weber

La programmation rend compte de la diversité de la jeune scène européenne, avec bien sûr, une prime aux musicien.ne.s allemand.e.s et surtout régionaux.ales, mais avec une grande ouverture pour les projets internationaux actuels. Le principe est celui d’une programmation soignée par le groupe de commissaires et qui se décline dans les lieux estampillés jazz de la ville, quitte à les louer le temps du festival pour les intégrer pleinement dans le dispositif. Il ne s’agit pas, comme à Copenhague par exemple, d’un festival parapluie qui inclut les programmations des lieux associés. Ici, la ligne artistique est claire et une.

D’une manière générale, le public est plutôt jeune (parfois même c’est un public de club qui se déplace) et très mixte. Ici, à Cologne, on sent que le jazz n’est pas réservé aux parents et grands-parents. Pas étonnant, dès lors, de pouvoir à peine rentrer dans la grande salle du Stadtgarten pour le Petter Eldh Projekt Drums, pleine à craquer et chaude comme un four. Il faut dire que sur scène, le bassiste suédois est assis devant ses claviers et machines, la basse parfois posée en travers des genoux ; la musique très forte et très groove fait bouger les murs et les spectateur.trice.s. À la batterie, la grande Savannah Harris forme le couple rythmique avec la basse qui propulse le tout à un rythme soutenu. C’est la première fois que le projet, né en studio et par le studio, est présenté en live. Il fallait transformer la matière très produite du disque en une narration qui puisse tenir la route sur scène. C’est chose faite.
Le quartet de la tromboniste belge Nabou joue à la Filmhaus, mais la distance ne permet pas de s’y rendre, donc on enchaîne le second concert à Stadgarten. Le trio norvégien Bushman’s Revenge joue depuis presque 20 ans sa musique très binaire et percussive, qui trouve sa place dans le club Jaki (une salle souterraine d’une centaine de places debout) plein comme un œuf. Gard Nilssen et ses compagnons savent y faire en matière d’ambiance et de transe. Le batteur est d’ailleurs musicien en résidence au festival de Saalfelden et son trio Acoustic Unity est en tournée européenne pour la sortie du disque.

Savannah Harris & Or Bareket © Niclas Weber

La batteuse new-yorkaise Savannah Harris se produit de nouveau, en trio cette fois, à Loft, le fameux club de Cologne. La collaboration du festival avec Loft est très étroite. Il faut monter de nombreuses marches pour arriver sous le toit de cet ancien bâtiment industriel reconverti en salle de concert. Ici, avec Or Bareket à la basse et Mike King au piano, devant une salle bien remplie, la batteuse présente sa musique nourrie de nombreuses influences musicales et scéniques. Aussi à l’aise au sein de ce trio classique qu’avec l’entreprise de Petter Eldh, la batteuse jouera plus tard dans un contexte improvisé avec la violoncelliste Tomeka Reid et l’altiste Alexandra Niescier.
En quelques minutes de U-Bahn, on retrouve la scène de Stadtgarten sur laquelle se termine le concert d’un sextet dont fait partie le pianiste Felix Hauptmann (prometteur pianiste allemand déjà entendu à Porto), un artiste soutenu par le dispositif régional NICA. De belles compositions - signées Fabian Dudek (également au sax alto) - trônent sur les pupitres. La salle est bien remplie pour écouter cette musique tendue, dont les sonorités étonnantes et hasardeuses sont autant de prises de risques. Les arrangements sont la vraie réussite de cet orchestre.

Anthony Braxton Lorraine Trio © Niclas Weber

C’est dans la salle de concert de la radio WDR qu’a lieu le concert très attendu du nouveau trio du saxophoniste et compositeur Anthony Braxton. Entouré de Susana Santos Silva à la trompette et de Adam Matlock à l’accordéon et à la déclamation, Braxton inaugure un nouveau cycle de compositions associées à Lorraine, le nouveau langage greffé sur SuperCollider, son système de composition algorithmique. Malheureusement, malgré les essais préparatoires, le système ne fonctionnera pas et c’est donc entièrement en acoustique que jouera le trio. Les partitions très particulières de Braxton sont sur les pupitres et la tension est palpable. Très axé sur le souffle (sax, trompette, accordéon), le programme est donc très aérien et les échanges cérébraux nourrissent un discours assez dense. Le public très classique de cet auditorium du centre ville, habitué des musiques contemporaines, salue la performance avec un fracas bourgeois. (Par chance, le trio jouera le surlendemain à Oslo Jazz et le logiciel fonctionnera…)

Gard Nilssen Acoustic Unity © Niclas Weber

Un autre trio se produit à Stadtgarten, c’est le Acoustic Unity de Gard Nilssen, avec Petter Eldh à la contrebasse et André Roligheten aux saxophones. La musique, compacte et boisée, est très mélodique. Gard Nilssen est constamment à l’écoute et à la relance ; il se coule dans les harmonies plutôt que les rythmes. C’est l’archétype du batteur musical. La salle en redemande lorsqu’André Roligheten embouche ses deux sax pour un chorus que Roland Kirk n’aurait point boudé. Puis c’est le solo de Petter Eldh qui achève d’enflammer le public. Un vrai concentré de plaisir coupable.
Dans la soirée, le quintet de la batteuse Sun-Mi Hong et ses compagnons d’Amsterdam se produit au club Jaki avec un certain succès auprès du jeune public.
Il reste encore trois jours de festival et 25 concerts, un programme bien chargé qui trouve toute sa place dans les tournées d’été. C’est donc, après le WinterJazz, une deuxième bonne raison d’aller écouter du jazz à Cologne.