Chronique

Tim Berne

Decay

Tim Berne (as), Ryan Ferreira (eg), Michael Formanek (b), Ches Smith (dms)

Label / Distribution : Screwgun

Depuis qu’il abandonné son site Screwgun au profit d’une page bandcamp qu’il alimente de manière aléatoire mais régulière, Tim Berne se lâche… et nous régale par la même occasion. Depuis juillet dernier, il met à disposition l’enregistrement capté live en 2015 d’une formation qui n’est pas passée par la case disque. Entouré de vieux complices que l’on retrouve par ailleurs sur d’autres groupes du leader, Decay réunit les caractéristiques coutumières du saxophoniste avec une intensité acérée qui rend ce témoignage pertinent.

Ainsi, six pistes permettent de prendre note de l’efficacité de ce quartet dans toutes les phases de jeu, les individuelles comme les collectives. Découvert sur You’ve Been Watching Me de Snakeoil, le guitariste Ryan Ferreira fait valoir son sens des sonorités étranges et coloristes sur sa guitare électrique. Il apporte un décalage supplémentaire à l’acidité entêtante du saxophone et, tout autant percussif qu’instigateur de climats énigmatiques, il tient le rôle de machine dérégulatrice d’un flux sonore déjà bien tortueux et parfois véhément. En cela, la batterie et percussion de Ches Smith est, comme souvent chez Berne, un élément essentiel de la dynamique générale. Par sa propension à s’approprier l’intégralité des éléments de son instrument, il fait monter des vagues rythmiques qui poussent plus avant encore une musique impulsive. Cette fois, pourtant, c’est bien la présence du contrebassiste Michael Formanek qui fait l’originalité et la force de la formation.

Un son puissant et profond, une aptitude à se renouveler en permanence, principalement dans des interventions solistes pleinement investies, lui permettent de tenir une ligne forte qui structure les compositions et les revitalise constamment. Tout en restant dans la logique d’un quartet compact et affûté, le groupe traverse une gamme de climats. Des pièces frontales (mais obliques, on reste chez Tim Berne ) comme Ola’s Mood ou Surface Noise permettent de lâcher la bride à des individualités qui se connaissent et n’aiment rien tant que se heurter l’une à l’autre dans une attitude nerveuse et insolente, l’effervescence du live décuplant cette tendance. How Hip is the Ocean ou encore A Third Option explorent les approches rampantes ou bruitistes d’un saxophone fureteur et implacable. Cette tension qui creuse longuement la matière sonore constitue une des richesses de la musique de Berne.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 6 novembre 2022
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